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Essais ou questionnements moraux, les chroniques philo apportent un regard original sur les enjeux éthiques de l’antispécisme et ses applications et reflètent le point de vue et la sensibilité de leur auteur.e. Nous vous proposons également des critiques et recensions d’ouvrages de référence.
DÉCLARATION DES DROITS DE L’ÊTRE SENTIENT
Ce texte est issu de la croisée d’énergies diverses, des pavés militants aux avancées scientifiques. Il n’est à personne et est à toutes celles et tous ceux qui, sensibles à l’humanimalisme ou juste au bien-être de tous et de toutes, ont fait le choix d’un monde apaisé et riche en perspectives du cœur et de l’intelligence. Fruit d’un cheminement mené de 2016 à 2018, il se veut texte de référence : savoir ce pour quoi nous nous mobilisons lorsque nous controns le spécisme, tout comme le racisme et le sexisme, la prédation et l’exclusion, la domination et l’exploitation, et leurs cortèges de violences. Cette ambition en faveur du respect de tous les êtres sentients, sans considération d’espèces, se retrouve ici en mots. Des mots qui se veulent générateurs de prise de conscience, d’actes et de progrès. Des mots qui se veulent recours face à l’inacceptable, des mots qui affranchissent et élèvent. Les griots et griottes du Mali rappelant qu’il faut se garder d’écrire les mots car cela les enferme, laissons enfin à cette déclaration le chemin d’un chantier ouvert et toujours vivant.
DÉCLARATION DES DROITS DE L’ÊTRE SENTIENT
Préambule
Reconnaissant la valeur des sentiments et émotions ainsi que des douleurs ressenties et exprimées et considérant qu’elles unissent animaux humains et non-humains en une communauté des êtres sentients ;
Considérant la capacité des êtres humains à effectuer des choix éthiques et ainsi à refuser la violence ;
Considérant l’immense violence dont les êtres humains sont capables entre eux et à l’encontre des autres espèces sentientes ;
Considérant que l’usage réglementé de la violence, même paré des habits de la tradition, de la religion ou du plaisir gustatif, comme dissimulé derrière les murs, est violence et facteur de violences exponentielles ;
Considérant les menaces pesant sur la biodiversité de notre planète, et reconnaissant à chaque être son statut de cohabitant respectable ;
Considérant la nécessité de préserver l’humanité, objectif que la production et l’alimentation carnées et ovo-lactées compromettent indéniablement ;
Considérant les progrès de la science et les alternatives favorisant à la fois l’accès partagé aux ressources et la préservation de l’environnement, à même d’extraire l’humanité du recours à l’exploitation de tout être sentient ;
Considérant les perspectives d’un humanisme et d’un animalisme élargis à l’ensemble des animaux, humains et non-humains, soit un humanimalisme propice à l’édification d’une intelligence et d'une sentience communes ;
S’inspirant notamment de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), de la Charte de fondation de l’ONU (1945), de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948), de la Déclaration universelle des droits de l’animal (1978), de la Convention internationale des droits de l’enfant (1989) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) ;
Considérant ainsi la noblesse des idéaux proclamés dans la lignée des grands textes de référence ainsi que leur vocation et aptitude à créer, en autant d’étapes, les conditions du progrès,
Les êtres humains animés de la conscience humanimaliste, refusant ainsi toute discrimination arbitraire reposant sur l'appartenance à une espèce, animés également des grands idéaux tels ceux de liberté et de solidarité, s’engagent à respecter les droits inaliénables suivants, la somme des adhésions constituant ratification :
Article 1er : De la dignité
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Tous les êtres sentients sont doués d’une dignité intangible.
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Les êtres humains veilleront à promouvoir le respect suprême qui est celui dû à la vie de tout cohabitant sentient, qu’il soit humain ou animal. Dans le cas d’une espèce dont l’appartenance à la communauté des êtres sentients n’est pas scientifiquement établie, le doute bénéficiera à ladite espèce.
Article 2 : De l’égalité
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Tous les êtres sentients bénéficient de l'égalité de droit en cas d'intérêts identiques.
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Les êtres humains ne réduiront aucun être sentient au statut d'objet (soit d’aliment, de vêtement, de distraction, de faire-valoir, d’instrument ou encore d'expérimentation) ni à un quelconque autre statut exclusif (soit de compagnon, de subordonné, d’élève ou de patient notamment).
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Nul être sentient ne peut constituer objet de vente et d’achat, de don ou d’héritage, et ne peut ainsi devenir la propriété d’autrui. Seront donc en contradiction avec la présente déclaration, la réduction d’un être sentient à l’état de bien et donc l’esclavage, ainsi que la gestation imposée.
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En cas d’hébergement ou de cohabitation octroyé à un être sentient, le respect de ses droits inaliénables sera impératif. Le lien avec un animal non-humain sera défini de telle sorte que la responsabilité de l’être humain reste engagée si celui-ci décide d'y mettre un terme et ce, afin d’éviter à l’animal non-humain tout préjudice à cette occasion.
Article 3 : De la liberté
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Tous les êtres sentients ont droit à la liberté.
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La privation de liberté ne peut se faire qu’en cas d’absolue nécessité, pour des raisons sanitaires ou pénales. En outre, la réclusion ne sera accompagnée d’aucune atteinte à l’intégrité morale et physique de l’être concerné. Dans tous les cas, la détention aura vocation à n’être que temporaire ce qui induira un réexamen régulier et contradictoire de son opportunité.
Article 4 : Des liens affectifs
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Tous les êtres sentients ont droit au respect de leurs liens affectifs.
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Qu’il s'agisse de liens de parenté ou d’amitié, toute séparation imposée ne pourra se faire que dans l’intérêt de l’un au moins des êtres concernés d’une part, et devra faire l’objet de réexamens réguliers et contradictoires d’autre part.
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Quant aux liens amoureux entre adultes pleinement consentants, et de la même espèce, la présente déclaration affirme leur inviolabilité et cela, quelle que soit leur orientation sexuelle.
Article 5 : De l’intégrité
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Tous les êtres sentients ont droit au respect de leur intégrité morale et physique.
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Seront prohibés, avec une égale rigueur, discrimination, harcèlement, humiliation, marquage (comme au fer rouge ou étiquetage), privation de nourriture et de soin, entrave physique et psychique, dressage, déportation, torture, chasse, pêche, sacrifice et exécutions. L’organisation volontaire des conditions du combat entre êtres de la même espèce ou êtres d’espèces différentes, à des fins de spectacle notamment, et exception faite des compétitions entre êtres humains pleinement consentants, constituera également violation de la présente déclaration.
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La cession d’un élément physique au bénéfice d’autrui ne peut se faire que de façon expressément consentie, ce qui ne peut donc concerner que l'animal humain, ou dans les situations relevant expressément de la fraternité (telles que, et notamment, transfusion sanguine ou transplantation de rein).
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Les mutilations et prélèvements à des fins de domestication, d’agrément, d’exploitation, d’asservissement, ou de répression, constitueront violation de la présente déclaration.
Article 6 : De la fraternité
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Tous les êtres sentients ont le droit d’exprimer leur fraternité et de bénéficier de la fraternité, soit la plus noble des solidarités.
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Ils ont droit à une qualité de soin et d’assistance satisfaisante en cas de besoin.
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Les motifs imposés de privation de soins et d’assistance, de quelque nature qu’ils soient (économiques, politiques ou religieux notamment) seront ainsi en contradiction avec la présente déclaration, tout comme le recours à la solidarité qui serait organisée dans l’intérêt de ceux qui voudraient en tirer profit en s’exonérant des contributions comme en usurpant les bénéfices.
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C’est avec une égale dignité que seront abordés la fin de vie et le traitement de la dépouille.
Article 7 : De l’environnement
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Tous les êtres sentients ont droit à la préservation de leur environnement naturel.
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Tout projet de peuplement, d’aménagement, ainsi que d’exploitation, devra, s’il est mené, respecter cet impératif. Dans le cas d’une altération préjudiciable d’un tel milieu, par l’être humain tout particulièrement, toutes les dispositions seront prises pour inverser le processus et ce dans l’intérêt des êtres qui en dépendent.
Article 8 : Du partage des milieux et des ressources
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Tous les êtres sentients ont droit à une respectueuse considération dans le cadre de leur espace commun.
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Tout conflit d’usage entre populations, qu’elles soient sédentaires ou migrantes, sera réglé de façon raisonnée et équitable. Les causes du déséquilibre (telles que, et notamment, insuffisance des ressources, menaces d’ordre naturel ou conflictuel) feront l’objet d’une étude approfondie et contradictoire et des solutions non-violentes seront appliquées dans le respect des droits fondamentaux des individus sentients concernés.
Article 9 : De la science
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Tous les êtres sentients ont droit aux bénéfices de la science. La recherche sera ainsi fondée sur l’idéal de progrès partagé.
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Nul être sentient ne sera contraint à l’expérimentation scientifique, que ce soit pour des raisons médicales ou cosmétiques notamment. Le consentement libre et éclairé de l’individu sera impératif et réversible, ce qui ne peut donc concerner que l'animal humain, et la plénitude des moyens de protection lui sera accordée.
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Toute manipulation génétique qui serait contraire aux intérêts de l’être concerné d’une part, qui se ferait au détriment d’autres êtres sentients d’autre part, constituerait atteinte à la présente déclaration.
Article 10 : De l’humanimalisme
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Tous les êtres sentients ont droit aux liens interspécifiques fondés sur le respect dans un rapport d’égal à égal.
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Ces liens seront établis sur la découverte et la reconnaissance des intelligences, langages et sensibilités spécifiques.
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Ces liens, générateurs de partages, de langages communs, de connaissance de soi et de l’altérité, seront propices à l’édification d’une intelligence et d’une sentience communes.
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Cette intelligence et cette sentience communes auront pour vocation l’intérêt commun.
Article 11 : De la promotion des idéaux
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Les êtres humains, en leur qualité de citoyens du monde, veilleront au maintien de la paix au bénéfice de l’ensemble des êtres sentients. Ils favoriseront ainsi la diffusion des grands idéaux de liberté, d’égalité, de solidarité, de démocratie, de justice et d’épanouissement par la culture, comme ils veilleront à l’accès aux ressources avec le souci de l’équité.
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La confiscation du vivant, l'accaparement des richesses, la destruction de l’environnement, la promotion des armes et des conflits armés constitueront autant de violations de la présente déclaration.
Hippolyte Varlin, janvier 2019
Zoopolis : libération animale et société mixte
Est-ce que libérer les animaux non humains de nos sociétés est la seule solution afin de leur permettre de vivre enfin selon leurs propres intérêts ? Faut-il forcément renoncer à toute forme de contact avec eux ? Pas forcément. Dans leur ouvrage « Zoopolis », Will Kymlicka et Sue Donaldson imaginent un monde dans lequel la société des hommes et la société des animaux non humains ne forment qu’une, unie et harmonieuse.
Tout d’abord, selon les deux auteurs, un monde humain sans aucune interaction avec les animaux non humains n’est pas réalisable dans la mesure où, même si nous faisions cesser toute forme d’exploitation animale, il n’en resterait pas moins que nous serions toujours en contact permanent avec des animaux sauvages. En effet, dans nos sociétés où les interactions entre êtres humains et animaux sauvages non humains sont omniprésentes, le principe de non-intervention, bien que nécessaire pour les animaux sauvages vivant en toute indépendance des sociétés humaines, est « inapproprié ». En outre, les animaux d’élevage que nous cesserons d’exploiter ne vont pas être abattus. Au contraire, ils vont vivre à nos côtés et, ensemble, nous formerons une société nouvelle. C’est pourquoi, selon Kymlicka et Donaldson, nous aurons une série de devoirs à leur égard afin de leur assurer de quoi vivre correctement. Dès lors, les animaux libérés posséderont des droits positifs tels que le droit à être nourri, le droit à être soigné, etc.
À l’inverse, selon les partisans de la Théorie des droits des animaux (TDA), reconnaître des droits positifs aux animaux non humains est inutile. En effet, il suffit de considérer uniquement les droits négatifs (droit à ne pas être séparé de sa famille, droit à ne pas être possédé, droit à ne pas être tué, etc.) pour que cesse leur exploitation, dans la mesure où celle-ci est une violation de ces droits. Les droits négatifs permettent donc la libération animale.
Néanmoins, une fois libérés, les animaux d’élevage ne vont pas retourner dans la nature ; cette libération est symbolique. Ils vont certes ne plus être exploités mais resteront dépendants des humains car ils n’ont jamais appris à se débrouiller seuls dans la nature. Comme cette dépendance est relative au fait que nous avons violés leurs droits négatifs dans le passé afin de les rendre totalement dociles, alors il est de notre devoir, selon la TDA, de ne plus les laisser se reproduire. Ainsi, seules persisteront dans la nature les espèces d’animaux sauvages auxquelles nous ne devons rien si ce n’est le respect de leurs droits négatifs. Toutefois, le temps que dure cette transition, c’est-à-dire le temps durant lequel les animaux d’élevage vivront encore à nos côtés, nous devrons leur reconnaître des droits positifs afin que leurs intérêts fondamentaux continuent d’être protégés.
Donaldson et Kymlicka ne soutiennent pas la TDA car ils la trouvent peu réaliste. D’abord, à leurs yeux, un monde dépourvu de toute interaction entre animaux humains et non humains sauvages est peu probable. En outre, ils pensent que nous pouvons libérer les animaux d’élevage sans pour autant les faire disparaître. Ils préfèrent imaginer la possibilité d’une communauté mixte dans laquelle les hommes vivraient en harmonie avec les animaux non humains libérés.
Les deux philosophes soutiennent que les animaux non humains sont des agents intentionnels. De plus, ils prouvent que ces derniers sont tout à fait capables d’exprimer leur agentivité (ils ont des intérêts et savent comment nous les communiquer) et d’agir en vertu de la coopération sociale (ils n’agissent pas uniquement dans leur intérêt personnel). Cette capacité permet donc aux deux philosophes de leur octroyer le statut de citoyens ; ce qui implique que leur bien soit considéré dans le bien commun de la société. Dès lors, ils doivent bénéficier de droits légaux en tant que membres de cette société mixte.
Pour conclure, s’il est important de reconnaître des droits négatifs aux animaux non humains pour garantir la fin de leur exploitation, cela n’implique pas pour autant de cesser toute relation avec eux. Comme l’ont démontré Kymlicka et Donaldson, il est tout à fait possible pour les animaux humains et non humains de vivre ensemble et en harmonie dans une communauté mixte. Par contre, pour que cette harmonie soit rendue possible, il faut alors les considérer pour ce qu’ils sont vraiment, des agents intentionnels, et les intégrer en tant que citoyens à part entière de la société. Ainsi, leurs intérêts seront pris en considération au même degré que nos propres intérêts dans le bien commun de la société. Comme pour nous, la protection de leurs intérêts sera garantie par la loi.
Virginie Zbinden, décembre 2018