La réponse de Malena Garance Azzam.
Nous avons posé la question à différents acteurs de la cause animale, qui se sont prêtés à cet exercice d’anticipation avec habileté et créativité. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir huit poèmes inédits de Malena Garance Azzam, réalisatrice indépendante, co-fondatrice de la Crémerie Végane, militante engagée (et poétesse de talent, ndr).
Bestial
1
Voyez-vous poindre au loin, érigés vers le ciel
Les silos de grains, par tonnes industrielles
Gaver les condamnés, derrière les murs, cachés
Lorsque vous cheminez les routes, les sentiers ?
Qui d’entre vous a pénétré ces portes closes
Bâties de pierres et de fer, du monde isolées
Là où les corps de sang et de chair se nécrosent
Invisibilisés pour être dévorés ?
Pour une mort trop précoce, ils sont détenus
Pour vos appétits féroces, ils sont vos menus
Sous les slogans mensongers du bien-être
On vous vend en barquette leur paradis champêtre
De jour et de nuit, la lune leur est inconnue
Jouir d’une liberté, leur est défendu
Des regards apeurés en grand nombre s’éteignent
Des cadavres mutilés à l’ombre s’étreignent
Croupissant sous le poids de difformes douleurs
L’existence du dehors n’a pas de couleurs
Par milliers entassées, les bêtes se dévorent
Dans un triste décor, la vie attend la mort
Pour un bout de chair, de côte ou un verre de lait
Un repas, en convivialité, digéré
À l’aube déportés, les autres contre les uns
Les animaux traversent leur dernier matin
Pouvons-nous partager les étoiles contemplées ?
Avec eux traverser les terres habitées ?
Quand pourrons-nous leur tendre nos cœurs et nos mains ?
Et leur permettre enfin de nouveaux lendemains ?
Jouir de la rosée, à l’aube d’une promesse
De longévité, jusqu’au dernier crépuscule
Jouir d’une sieste sous une caresse crédule
Un refuge de paix, pour toutes les espèces.
2
Lorsque l’on pénètre le seuil
Le cœur est déjà en deuil
À la vue de nouveaux-nés
Aussi nombreux, entassés.
On compte autant de cercueils
Que l’on compte les condamnés.
Aucune conscience ne sait
Que les jours leur sont comptés
La peur stagne, tout le temps
Elle alerte, à chaque instant.
Dans les regards exprimés
Des soupirs désespérés.
Un seul bruit peut provoquer
Les souffles terrorisés
Aucune pitié ne rassure
Ni ne panse leurs blessures.
Seul un geste inespéré
Libère les créatures
De la gorge tranchée.
Piccata de porc Sentez-vous Le goût de la mort ?
3
Les animaux élevés
Les animaux dressés
Les animaux moqués
Les animaux volés
Les animaux violés
Les animaux frappés
Les animaux blessés
Les animaux chassés
Les animaux portés
Les animaux noyés
Les animaux gazés
Les animaux coupés
Les animaux tranchés
Les animaux mangés
Les animaux mâchés
Vénérés, égorgés,
Méprisés, marchandés,
Dépecés, digérés
Et on dit les aimer.
Les animaux sont
— À tort !
Tués, mis à mort.
4
Femelles inséminées
Laitières et nourricières
Paraissent généreuses
Se font traire
Pour nourrir
Les bébés
Des maîtres
Humains.
Les veaux et leur mères,
Dans leur triste réalité
Souffrent et meuglent
Leur soudaine séparation
Lorsque vient de terminer la gestation,
S’appellent durant des nuits
Et des jours entiers.
Pour des prétextes
Et des coutumes
Qui aveuglent et enfument
On s’arroge les droits,
De vie ou de mort
Sur l’animal
Qui souhaite
Juste
Vivre.
Les veaux et leur mères, Dans leur triste réalité Souffrent et meuglent Leur soudaine séparation Lorsque vient de terminer la gestation, S’appellent durant des nuits Et des jours entiers.
5
Bénéfique est l’exploitation
Confortable est le dressage
Dans l’extension des cages,
Les geôliers profitent
Du marchandage
D’un spectacle
Sauvage,
Tandis que les déguisements
De paillettes et de strass
Aveuglent les sondages
Font ombre à la fête
Masquent en piste
Les otages
Esclaves,
Sous les costumes et maquillages
Pour d'anciennes coutumes ludiques
Les éléphants trompettistes
Barrissent en musique
Se font applaudir
Pour divertir
Des enfants
En âge.
Sous les coups de fouets et de pics
Un chimpanzé marionnettiste
De plusieurs chamelles, s’attriste,
Quelques zèbres illusionnistes
Un cheval unijambiste
Un lama trapéziste
Une chienne déguisée
En petit ours cycliste
Se font applaudir
Sous les rires
Du public
Bestial.
Quel langage leur faut-il parler
Pour enfin convaincre les cœurs
Que toutes leurs arabesques
Résultent de souffrances et contraintes ?
Quelles violences leur faut-il éprouver
Encore, pour convaincre les mœurs
De les épargner enfin
De nouveaux gestes et douleurs à craindre ?
Le funambule est un piètre équilibriste
Lorsqu’en maître il dompte les animaux.
Il déploie ses véritables talents d’artiste
Sous un chapiteau, lorsqu’il est seul
Héros de ses prouesses et numéros,
En piste, dans un cirque sans animaux.
6
Rencontrer une détresse
Mesurer une tristesse
Partager une caresse
Accorder de la pitié
Offrir son amour, son amitié
S’éprendre de Justice, surtout
Leur rendre leur liberté.
Qui mangera Le dernier animal ? Il y en aura bien un Tôt ou tard Qui sera-t-il ?
7
Blanquette de veau à la crème
Un bébé
Est séparé de sa mère.
Cœurs de poulet en brochettes
L’individu
Est dissocié de l’assiette.
Entrecôtes farcies et rôties
La chair
Vivante, aimait la vie.
Poissons, fruits de mers et crustacés
Dans l’océan
Sont des nations tuées.
Jarret et filet
Du pareil au même
Ils font toujours les frais.
Piccata de porc
Sentez-vous
Le goût de la mort ?
À point, bleue ou saignante
Comment l’aimez-vous
Votre viande ?
Assis, debout ou couché
Comment l’aimez-vous
Votre canidé ?
En cuir, vison, électrocuté
Comment aimez-vous
Sur vous, le porter ?
Mâchés, mangés et avalés
Est-ce ainsi que vous considérez
Les autres tués ?
Dignité, gavé et dépecé
Est-ce ainsi que vous parlez
Du bien-être animal ?
Liberté, équité et solidarité
C’est ainsi
Que nous devrions toustes cohabiter.
8
Qui mangera
Le dernier animal ?
Il y en aura bien un
Tôt ou tard
Qui sera-t-il ?
Qui sera
Le dernier animal
Qui mangera
Un autre animal ?
Sera-t-il un chien ? Ou un humain ?
Qui, pour survivre, se remplira
De ce qu’il trouvera
De ce qu’il chassera
De ce qu’il restera
Après que son espèce tout dévasta ?
Sera-t-il un animal d’une toute autre espèce ?
Peut-être un équidé ? Une truie ou un requin ?
Sera-t-il une proie ?
En faim de chance et d’aubaine ?
Qui croisera le chemin
D’un prédateur inerte,
Ou de restes d’humains,
Et qui se remplira, de son dernier repas
Avant de céder au dernier cœur qui bat ?
Sera-t-il un végétal ?
Dans le désespoir
Capable de tout
Pour survivre
Aux cruelles lois
Jusqu’à s’adapter
D’une chair émaciée
Putride et périmée
Dont il puisera
Les derniers nutriments ?
Sera-t-il dégoûté
De ce qu’il avalera ?
Pourra-t-il digérer
Le dernier repas
D’un condamné ?
Qui sera-t-il
Le dernier animal
Qui mangera
Un autre animal ?
Osera-t-il
Assumera-t-il
Être le dernier ?
Ou cédera-t-il avant
Pour précéder
La honte portée
Par celui qui mange
L’autre qui comme lui,
Qui mange — autrui ?
Qui sera,
Le dernier animal ?
- dossier préparé par CL -
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