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Bio c’est Bof

Plusieurs raisons motivent les gens à acheter bio : l’intérêt personnel (le goût, la santé), les raisons altruistes (écologie, bienveillance envers les animaux) et les valeurs personnelles (le naturel c’est bien). Il y a huit ans, je soutenais l’agriculture biologique au point d’être président d’une Amap (Association pour le maintient d’une agriculture paysanne – ACP, Agriculture contractuelle de proximité en Suisse) et d’en avoir cofondé une autre.

Voici pourquoi je suis largement revenu sur ma préférence pour l’agriculture biologique.


Le bio, ça a meilleur goût


Diverses études ont tenté d’évaluer si la production biologique influençait en soi le goût des aliments, en neutralisant les autres facteurs possibles puis en faisant goûter les produits ou même en analysant leur composition chimique. Leur conclusion est que la méthode de production (bio ou conventionnelle) n’a pas d’impact significatif sur le goût. Cependant, de nombreux facteurs sont corrélés au fait qu’un produit soit bio : il aura plus de chance d’être dans une variété à croissance plus lente, d’être cueilli à maturité, d’être plus frais… Pour les produits transformés, les fabricants peuvent souvent s’accorder une montée en gamme. Même vos propres attentes peuvent changer votre perception du goût. Il y a donc bien des raisons de trouver meilleurs les produits bio.


Le bio, c’est probablement un peu meilleur pour la santé


Beaucoup d’études se sont intéressées à la question. En 2018, un résultat issu de la cohorte Nutrinet a fait beaucoup de bruit en révélant qu’une fois les autres facteurs neutralisés (surpoids, exercice physique, âge, alcool, etc.), les consommateurs de produits bio avaient 25% de cancers en moins que les autres. Les méta-analyses, regroupant les résultats de centaines de recherches, concluent cependant en général qu’il y a peu de différences entre la qualité sanitaire des aliments bio ou conventionnels [1]. Ces différences, quand elles existent, sont cependant très majoritairement en faveur du bio. Un bémol : en inquiétant la population sur le risque (mineur) lié aux traces de pesticides, les soutiens du bio tendent à freiner l’achat de fruits et légumes, aux dépens de la santé publique.


Côté élevage, la durée de vie plus longue et la croissance plus lente des animaux exploités en bio cause un impact environnemental plus lourd, à quantité équivalente de chairs et de sécrétions produites.

Le bio, c’est mauvais pour le climat...


Quand on regarde l’impact écologique d’une production, il est primordial d’évaluer à production équivalente plutôt qu’à l’hectare (comme le font parfois des sources favorables au bio). Les terres agricoles bio stockent en moyenne plus de carbone durant les premières années d’exploitation, ce qui leur donne en première estimation un meilleur bilan climatique. La différence de stockage s’atténue cependant au fur et à mesure que le sol se sature en carbone puis, sur le long terme, les méthodes conventionnelles, plus productives à surface égale, deviennent en moyenne légèrement moins émissives.


Côté élevage, la durée de vie plus longue et la croissance plus lente des animaux exploités en bio cause un impact environnemental plus lourd, à quantité équivalente de chairs et de sécrétions produites.


... parce que ça occupe plus de place


En moyenne, l’agriculture bio occupe environ 25% (et jusqu’à 110%) de surface de plus à production équivalente. Les études ne prennent que rarement en compte ce facteur, mais la différence d’impact climatique dépend fortement du devenir de ces 25% de terres économisées par le conventionnel. Si nous voulons vraiment comparer à production équivalente, il faut considérer que ces terres ne sont pas utilisées pour une autre production. En l’absence d’exploitation, toutes les terres arables laissent peu à peu place à la forêt, et celle-ci stocke beaucoup plus de carbone qu’une parcelle cultivée, même bio. L’amélioration des rendements a d’ailleurs été de loin le moteur principal de l’augmentation du couvert forestier français, avec un quasi-doublement en 200 ans. L’étendue de terrain nécessaire au bio pour une production équivalente représente donc une perte d’opportunité de stockage du carbone, et celle-ci dépasse nettement les effets positifs de la conversion au bio pendant les premières années. Au final, le bio aggrave l’impact climatique de l’agriculture.


Au final, le bio aggrave l’impact climatique de l’agriculture.

Pour la biodiversité, difficile de conclure


La grande étude européenne BIOBIO, comparant les exploitations en bio et conventionnel, a montré que dans l’ensemble, la diversité d’espèces est légèrement supérieure en bio, mais que la présence d’espèces rares ou menacées ne dépend pas tant du mode de production que des pratiques culturales mises en œuvre et de la diversité des habitats non cultivés ou semi-naturels présents. Probablement grâce à ces pratiques culturales encouragées par les contraintes du bio, une méta-analyse de 2016 estime que les parcelles bio présentent en moyenne 30% de biodiversité en plus. Le bio est aussi bénéfique hors des parcelles, que ce soit sur les terrains avoisinants ou pour la faune aquatique, en raison de sa moindre utilisation de pesticides et de son moindre relargage de nitrates.


Économiser 25% de territoire grâce au conventionnel peut en revanche permettre de laisser la vie sauvage se développer pleinement hors des parcelles cultivées. Les espèces présentes sur un territoire partagé, dans le cadre de l’agriculture bio, ne seront pas celles qui se développeront sur un territoire forestier libre d’exploitation humaine. Si la biodiversité peut être plus grande sur un seul mètre carré de prairie que sur un mètre carré de sol forestier, quand on observe à plus grande échelle, les systèmes forestiers abritent en général davantage de biodiversité. Mais les espèces menacées variant d’un territoire à l’autre, il semble bien difficile de conclure sur l’intérêt de l’agriculture bio sur la biodiversité.


Pour les animaux sauvages présents sur les parcelles, c’est discutable


Imaginez que pendant le néolithique, un volcan entre en éruption tous les 500 ans environ et tue tous les humains qui cultivent sur ses pentes. Trouveriez-vous préférable que la terre située sur ce volcan soit très fertile et que des villages s’y installent entre chaque éruption, ou que ses pentes soient inhospitalières et que les éruptions ne tuent presque personne ?


Cette petite expérience de pensée pourrait vous aider à déterminer si vous trouvez préférable qu’un champ soit relativement inhospitalier pour la vie animale (à cause de nombreux traitements biocides qui empêchent les populations de croître), ou au contraire permette à de nombreux animaux de s’épanouir entre les récoltes et les labours. Quand une moissonneuse ou une herse passe dans un champ bio, elle fait en général bien plus de victimes que dans un champ conventionnel.


Les animaux élevés en bio sont tués de la même manière que dans les autres filières. En revanche, ils accèdent en général à un peu plus d’espace, ont une croissance moins accélérée et vivent un peu plus longtemps. Mais ce dernier point est-il vraiment positif ?

Pour les animaux élevés, c’est discutable


L’agriculture végétale biologique représente une filière de valorisation des excréments (et sous-produits d’abattoirs) issus des élevages intensifs (à l’exclusion du hors sol) ou récupérés dans les stabulations d’élevages extensifs. Une vache laitière produit environ 10 tonnes de fumier par an pour une valeur de 160 €, soit environ 5% de la valeur de sa production de lait. Manger des légumes bio participe donc (de manière minime) au financement de l’exploitation animale.


Les animaux élevés en bio sont tués de la même manière que dans les autres filières. En revanche, ils accèdent en général à un peu plus d’espace, ont une croissance moins accélérée et vivent un peu plus longtemps. Mais ce dernier point est-il vraiment positif ? Si nous pensons que la vie d’un poisson ou d’une poule exploités (de loin les animaux les plus nombreux en élevage) est tellement horrible qu’elle ne mérite pas d’être vécue, devrions-nous voir d’un bon œil qu’un oiseau ait souffert 20 jours de plus pour produire la même quantité de chair ? L’impact le plus positif pour les animaux est sans doute d’ordre culturel, du fait que l’élevage bio présente plus souvent le ressenti des animaux comme un enjeu.


Derrière le bio, une valeur douteuse


Contrairement à ce que pense un Français sur deux, le bio utilise des pesticides… mais ceux-ci sont prétendument « naturels ». Alors que l’agro-écologie est orientée avant tout sur les résultats, le bio est fondé sur la recherche du naturel (et de son imitation) au travers des pratiques agricoles.


De nombreux biais peuvent expliquer notre intuition selon laquelle ce qui est naturel serait bon : héritage culturel selon lequel le monde aurait été créé par un dieu bienveillant, croyance en un monde juste, aversion à la perte (et donc préservation du statu quo), plaisir à nous retrouver dans un environnement (relativement) naturel désormais dépourvu de menaces…


Contrairement à ce que pense un Français sur deux, le bio utilise des pesticides… mais ceux-ci sont prétendument « naturels ».

En pratique, il suffit de trois ou quatre générations pour que quelque chose nous semble naturel, que ce soit l’éducation des enfants par deux parents, la mise en bocal d’aliments ou les paysages façonnés par l’élevage. Quand nous y réfléchissons, de nombreuses pratiques perçues comme naturelles (parce qu’anciennes) seraient catastrophiques pour l’environnement si nous les employions encore à grande échelle : chasse pour la viande et l’habillement, chasse à la baleine pour notre éclairage, cueillette des plantes comestibles, coupe de bois pour obtenir notre énergie, (non) isolation des habitations par la pierre…


L’appel à la nature est fréquemment employé pour justifier des positions réactionnaires, que ce soit l’homophobie, les inégalités sociales, la zoophagie, le refus de la médecine moderne… ou encore pour dénoncer des pratiques agricoles permettant pourtant d’avoir moins d’impacts sur l’environnement en améliorant les rendements. Que le bio soit fondé sur une mauvaise intuition n’en fait pas en soi une mauvaise pratique, mais il sera compliqué d’en finir avec l’idée de nature tant que consommateurs et commerçants continueront à aduler le « naturel ».


La perte d’opportunité


En France, le bio est en moyenne 75% plus cher que le conventionnel en supermarché (45% en Suisse). D’après l’UFC Que Choisir, rien que pour les fruits et légumes le surcoût représente 290 € par ménage et par an entre du tout conventionnel et du tout bio. Le bio représente ainsi un surcoût de 7,2 milliards d’euros (CHF 1,9 milliard en Suisse) par an.


La pêche et l’élevage étant de loin les pires pratiques agricoles contre la biodiversité et le climat, la promotion d’une alimentation végétale semble bien plus prometteuse que d’investir son argent pour minimiser son impact individuel à travers l’achat de bio.

Certes, toutes les personnes qui consomment bio ne le font pas (seulement) pour l’environnement. Mais l’argent investi dans le bio par les écologistes depuis des dizaines d’années n’aurait-il pas eu plus d’impact s’il avait financé la promotion de changements politiques s’imposant à l’ensemble de la société (profitant éventuellement du crédit d’impôt pour tripler un don associatif) ? Pour comparaison, le budget du mastodonte Greenpeace France est de « seulement » 25 millions d’euros par an (CHF 23 millions pour Greenpeace Suisse) et celui de L214 est de 5 millions d’euros par an (CHF 144’000 pour PEA). Dit autrement, le surcoût du bio par rapport au conventionnel représente 290 fois le budget de Greenpeace en France (et 83 fois en Suisse).


La pêche et l’élevage étant de loin les pires pratiques agricoles contre la biodiversité et le climat, la promotion d’une alimentation végétale semble bien plus prometteuse que d’investir son argent pour minimiser son impact individuel à travers l’achat de bio. De manière générale, le choix de ce qu’on produit (ou consomme) aura bien plus de conséquences que la manière dont on le produit et l’action visant un changement institutionnel ou culturel aura plus d’impact que la consom’action.


Cependant, si l’argent que vous économiseriez en mangeant conventionnel devait vous servir à acheter plus de viande et poissons… pour l’environnement et pour les animaux, mieux vaut que vous passiez au 100 % bio ! Si ça se trouve, vous ferez même quelques économies en budget santé :-)


- Frédéric Mesguich -


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