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De boucher à militant (partie 1)

Dernière mise à jour : 3 sept. 2019

Le 28 avril 2018, il y a un an jour pour jour, Rémi Thomas quittait son emploi de boucher à Angers (Nord-Ouest de la France), par conviction. Aujourd’hui établi dans le Sud, il est devenu militant antispéciste. Interview-vérité avec un homme au parcours aussi atypique qu’inspirant.

Rémi Thomas rend hommage aux victimes des abattoirs.

Comment es-tu devenu boucher ?

Rémi Thomas : Après avoir été cuisinier pendant six ans, je suis devenu militaire pendant trois ans. Dans l’un comme dans l’autre, la vie professionnelle est favorisée au détriment de sa vie privée. Je n’ai donc pas souhaité retourner en cuisine en sortant de l’armée. Toujours passionné par ce domaine, je cherchais un nouveau poste en lien avec mon ancien métier : travailler en boucherie me semblait à l’époque une bonne alternative.

J’ai tout d’abord intégré une équipe de bouchers en tant qu’employé de libre-service. Mon travail consistait à emballer les viandes*, étiqueter les barquettes, les mettre en rayon et entretenir ce rayon. J’étais concrètement le dernier maillon de la chaîne de production...

Peu de temps après mon arrivée, un boucher a quitté l’équipe. Désireux à l’époque de m’investir dans ce collectif, j’ai proposé de mettre mes expériences acquises durant mes années de cuisinier au service de l’équipe. À l’aise avec les couteaux comme avec les clients, cela a vite été accepté. Petit à petit, j’ai appris le métier de boucher et ses termes spécifiques qui me choquent à présent : dégraissage, désossage, découpage, vidage, ficelage, préparation de viandes travaillées (saucisses, farces, rôtis farcis, etc.) ainsi que la vente au stand. À terme, quelqu’un m’a remplacé au poste de libre-service. J’étais devenu boucher.

Ayant appris sur le tas, j’avais pour projet, avant ma prise de conscience, de poursuivre ma formation pour obtenir un diplôme en boucherie, afin de développer encore mes connaissances et compétences et étoffer mon curriculum vitae pour ma carrière future. La boucherie semblait être ma nouvelle voix, je rêvais de devenir chef-boucher.

* J’utilise l’italique car je suis incapable aujourd’hui de considérer comme un produit un individu qui a été divisé pour être commercialisé. Ce mot banalise ce qui est immoral : l’assassinat d’un être sentient sans aucune nécessité et je le dénonce de cette manière. La viande n’est pas un aliment, de la même manière que les humains et humaines ne sont pas des aliments, il s’agit des corps d’individus assassinés.

Quel rapport entretient-on avec les animaux lorsqu’on exerce ce métier ?

C’est un rapport d’indifférence et de chosification. On ne peut vendre des individus assassinés si l’on considère injuste et illégitime ce rapport de prédation. Comme la majorité des bouchers et bouchères je pense, le rapport que j’avais avec les animaux était donc un rapport de chosification. Je réduisais les animaux vivants piégés dans ce système au rang de ressources, ressources sentientes certes, mais ressources tout de même. Les animaux étaient des d’aliments.

Je réalise à présent que désindividualiser ces individus est une stratégie indispensable pour se sentir moins voire pas concerné par les injustice dont ils sont victimes (c’est ce même genre de schémas de pensée qui a permis à l’esclavage de durer à travers les siècles, par exemple). En pensant de la sorte, on ne reconnaît pas les animaux comme des individus à part entière, on refuse de voir que chacun et chacune d’entre eux est un être unique doté d’une conscience et qu’ils et elles expérimentent personnellement la joie, l’amour mais aussi la peur et la souffrance...

En boucherie, on nous enseigne que respecter l’animal, c’est proposer de la viande de qualité en faisant le moins de gaspillage possible. Je ne respectais pas l’individu qui avait été tué pour être divisé, je respectais l’objet qu’il était devenu.

Or, les animaux non humains ne sont ni des ressources, ni des aliments, pas plus que les Noirs des esclaves ou les femmes des objets sexuels. Je pense que le principal problème est que l’on voit dans les autres ce qu’on veut y trouver, alors qu’il faudrait les voir pour ce qu’ils et elles sont : des individus à respecter. Ce rapport de chosification que l’on entretient avec les animaux empêche de leur reconnaître ce statut.

En boucherie, on nous enseigne que respecter l’animal, c’est proposer de la viande de qualité en faisant le moins de gaspillage possible. Voilà un respect bien hypocrite... Je ne respectais pas l’individu qui avait été tué pour être divisé, je respectais l’objet qu’il était devenu. Car respecter la viande, ce n’est pas respecter l’animal, au contraire. Quand on respecte réellement, on ne tue pas sans nécessité, on ne participe pas à de telles injustices. Aucun boucher et bouchère ne respecte les animaux, sinon il ou elle se reconvertirait comme je l’ai fait et je les invite dans cette voie. Un boucher ou une bouchère qui prétend respecter les animaux a soit un respect incomplet, soit est bien hypocrite. Peut-on respecter des individus quand on fait de leurs souffrances et de leurs injustices son fonds de commerce ?

Aujourd’hui, dans nos pays développés, manger de la viande n’est plus une nécessité mais un caprice, un caprice qui entraîne la mort.

Si autrefois la viande était une nécessité pour survivre, un rapport de prédation envers les autres animaux pouvait être légitime. Aujourd’hui, dans nos pays développés, ce n’est plus une nécessité mais un caprice, un caprice qui entraîne la mort. Ce rapport de prédation qu’ont les bouchers envers les autres animaux peuvent avoir plusieurs raisons : méconnaissances en nutrition, déni, égoïsme. Très souvent, ces raisons sont entretenues volontairement, par refus du changement. Je reviendrai plus tard sur la notion de spécisme.

Être boucher implique-t-il forcément une certaine indifférence à la souffrance des animaux ?

Commander des cadavres d’animaux et les découper pose moins de soucis de conscience quand on est indifférent à la souffrance animale. Néanmoins, j’ai connu des bouchers qui se disaient sensibles à la souffrance animale, mais comme beaucoup de mangeurs et mangeuses de viande et comme moi avant, ils et elles entendent par souffrances les mauvais traitements qui sortent des procédés réglementés, comme les coups infligés aux animaux dans certains abattoirs. En ce sens, ils se disent contre la souffrance animale, mais comme moi avant, ils et elles oublient qu’un procédé réglementé peut engendrer de la souffrance et que la souffrance peut être également psychologique.

Comme moi avant, les bouchers et bouchères se disent contre les maltraitances, mais seulement contre celles qu’ils et elles identifient comme telles, tout en participant à d’autres, soit par hypocrisie, soit par ignorance.

L’incapacité à profiter d’une vie qui nous appartient est une souffrance. La privation de liberté est une souffrance. Priver un individu de ses besoins essentiels est une souffrance. Asphyxier des cochons conscients dans des chambres à gaz (rebaptisées puits de CO2) est une souffrance. Couper des becs est une souffrance. Marquer au fer rouge est une souffrance. Retirer un veau à sa mère et le tuer pour qu’il ne boive pas le lait qui lui est destiné (une mère produit du lait pour son bébé) afin que ce lait soit commercialisé pour les humains est une souffrance... Comme moi avant, les bouchers et bouchères se disent contre les maltraitances, mais seulement contre celles qu’ils et elles identifient comme telles, tout en participant à d’autres, soit par hypocrisie, soit par ignorance.

J’ai connu un boucher qui était révolté par la souffrance des animaux dans les cirques. Je lui ai fait comprendre que dans nos pays civilisés, la souffrance des animaux de l’industrie de la viande n’était pas plus nécessaire que la souffrance des animaux dits de cirque, mais il a coupé court à la discussion, c’était trop dur à entendre pour lui. Ne pas vouloir réfléchir par peur de comprendre que nous avons tort, c’est de la mentaphobie. C’est une des techniques qu’ont les gens, dont les bouchers et bouchères et moi avant, tout comme la moquerie, pour fuir des vérités qui dérangent.

Le terme boucherie est couramment utilisé comme synonyme de massacre ou de carnage. Qu’en penses-tu ?

Ce qui me choque le plus, c’est de m’être fait endormir au point de participer à une boucherie sans l’identifier comme telle alors qu’elle porte pourtant ce nom, tout en dénonçant et en étant répugné par d’autres boucheries en acceptant qu’elles portent cette appellation. La boucherie est aux animaux d’élevage ce que la Shoah est aux juifs. Les personnes choquées par cette comparaison pourtant légitime sont choquées simplement car elles ne veulent pas reconnaître le caractère injuste de l’horreur à laquelle elles participent. C’est un réflexe de déni, afin de se persuader que cette boucherie-là est légitime (puisque légale) et moins grave que les autres, alors qu’elle est tout aussi injuste. Refuser de faire le parallèle qui existe entre la Shoah et la boucherie, c’est insensibiliser ce qu’est la boucherie. Quelles que soient les victimes, toutes les boucheries doivent être combattues et condamnées.

Ce qui me choque le plus, c’est de m’être fait endormir au point de participer à une boucherie sans l’identifier comme telle alors qu’elle porte pourtant ce nom, tout en dénonçant et en étant répugné par d’autres boucheries en acceptant qu’elles portent cette appellation.

Selon toi, les bouchers sont-ils eux aussi des victimes du système ?

Ils et elles ne sont pas victimes du système, ils et elles sont les fruits de ce système. Comme moi avant, ils et elles sont des coquilles vides, incapables ou peu de réfléchir par eux et elles-mêmes, guidés simplement par ce que véhicule le modèle social dans lequel ils et elles ont grandi. Comme moi avant, ils et elles ne sont pas responsables de l’éducation incomplète qu’ils et elles ont reçue. Mais une fois qu’on les informe sur la non-nécessité de consommer des produis animaux et sur les injustices que subissent les animaux, s’ils et elles décident de continuer à poursuivre selon ce schéma, alors ils et elles n’en sont pas victimes car ils et elles décident eux et elles-mêmes de devenir ce système et de le faire perdurer. Les bouchers et bouchères qui participent à l’horreur simplement car, comme moi avant, ils et elles n’ont pas pris conscience de l’horreur qu’est la boucherie, ne sont pas victimes du système, ils et elles sont victimes de leur incapacité à réfléchir par eux-mêmes. Je ne dis pas ça avec condescendance, j’applique ce constat également à celui que j’étais.

Les bouchers et bouchères qui participent à l’horreur simplement car, comme moi avant, ils et elles n’ont pas pris conscience de l’horreur qu’est la boucherie, ne sont pas victimes du système, ils et elles sont victimes de leur incapacité à réfléchir par eux-mêmes.

Raconte-nous ta prise de conscience...

Ma prise de conscience s’est déroulée en deux étapes. Je suis tout d’abord devenu végétarien, puis j’ai cessé d’être spéciste (et suis donc devenu végane). La seconde étape a été de devenir militant.

Lorsque j’ai commencé à travailler en boucherie, je ne savais ni ce qu’était le végétalisme, ni ce qu’était le véganisme ou même le spécisme. J’ai découvert ce qu’était le véganisme après environ six mois de travail en boucherie, par hasard sur internet, dans une vidéo YouTube d’une végane qui critiquait ouvertement les non-véganes et prenait la défense des animaux d’élevages avec une communication assez agressive. J’ai tout de suite compris que le fond de son discours était censé et que je ne pouvais critiquer son appel à la bienveillance à l’égard d’innocents. Malheureusement, j’avais encore à ce moment trop d’ego et ne voulais pas changer mes habitudes. Je m’étais alors servi de l’anonymat que permet internet pour la critiquer, me moquant d’elle en commentaire et lui manquant de respect. À ce moment-là, je voyais le véganisme comme quelque chose de noble, un peu comme le bouddhisme : ça ne devait s’appliquer qu’à celles et ceux qui s’y intéressent. Si les gens voulaient être véganes, ça ne me dérangeait pas, mais les véganes n’avaient pas à imposer leur choix. Je respecte ton choix d’être végane, respecte mon choix de ne pas l’être, pensais-je.

Je voyais le véganisme comme quelque chose de noble, un peu comme le bouddhisme : ça ne devait s’appliquer qu’à celles et ceux qui s’y intéressent.

Mon amie Alexia et moi étions très attendris par les cochons nains. Nous avions envie d’en adopter un comme animal de compagnie. Elle m’a alors fait remarquer que si nous adoptions un cochon nain, il nous faudrait cesser de manger du cochon, par souci de cohérence. C’est vrai que ça aurait été hypocrite de notre part de chérir un petit cochon tout en nous remplissant le ventre d’autres cochons assassinés. Elle a eu la présence d’esprit de se demander alors pourquoi respecter les cochons et continuer de manger d’autres animaux et s’est donc dirigée tout naturellement vers le végétarisme. Je ne l’ai pas suivie tout de suite.

Deux semaines plus tard, dans mon file d’actualité Facebook, je suis tombé sur une vidéo de Rémi Gaillard, vidéaste connu pour ses caméras cachées et ses gags. La lecture automatique s’est lancée et je l’ai regardée, m’attendant à me divertir. S’il s’agissait bien de caméras cachées, à ma grande surprise, cela n’avait rien de drôle. Au contraire. Une association de protection des animaux avait placé des caméras cachées dans un abattoir pour montrer ce qu’il s’y passait réellement et Rémi Gaillard présentait cette vidéo.

J’ai vu ces animaux résister, j’ai entendu leurs cris, j’ai vu leur douleur et leur désespoir. Je ne pouvais plus regarder les animaux de la filière viande comme quelque chose, ils et elles étaient et sont quelqu’un !

J’ai été heurté par ces images. Qu’importent les détails et les procédés, cette vidéo d’abattoir a détruit pour de bon la chosification des animaux (la fameuse viande) qu’on m’avait mise en tête depuis tout jeune. J’ai vu ces animaux résister, j’ai entendu leurs cris, j’ai vu leur douleur et leur désespoir. Je ne pouvais plus regarder les animaux de la filière viande comme quelque chose, ils et elles étaient et sont quelqu’un ! Avant la fin même du visionnage, j’avais compris que le problème n’était pas la manière dont on tuait les animaux, mais de les tuer tout simplement. Choqué, j’ai regardé d’autres vidéos de la même association (L214). Cet après-midi-là, j’ai compris que je devais cesser de manger de la viande.

De retour au travail, j’essayais de faire ce pourquoi j’étais présent sans trop penser aux images que j’avais vues. Les fêtes de fin d’année approchant, de nouvelles spécialités bouchères voyaient le jour dans notre laboratoire. Chaque spécialité était cuite et goûtée par l’équipe. Ayant gardé secrètes les vidéos qui m’avaient heurté et essayant hypocritement de les oublier pour ne pas changer mes habitudes (pour faire comme tout le monde), j’ai pris ma part de viande et l’ai goûtée. En la mâchant, j’étais mal à l’aise. J’essayais de profiter de ce que j’avais dans la bouche, mais ma conscience me rappelait évidemment les horreurs que j’avais vues. J’ai avalé rapidement pour que ce malaise cesse. J’ai donné hypocritement un avis positif à mes collèges de travail et repris mon poste avec le sentiment de m’être trahi. J’ai vécu une dizaine de jours comme ceux-ci, durant lesquels je mangeais de la viande – moins, mais j’en mangeais tout de même –, mais ma perception du goût n’était plus la même, je ne prenais plus de plaisir à en manger. Après quelques jours, tout était clair : je ne mangerais plus d’individus. Me voilà devenu végétarien et soutenu par mon amie Alexia.

J’essayais de profiter de ce que j’avais dans la bouche, mais ma conscience me rappelait évidemment les horreurs que j’avais vues.

Même si je trouvais le meurtre des animaux injuste, je continuais à considérer que manger de la viande était quelque chose de normal, je ne voulais juste plus y participer. Travailler en boucherie tout en étant végétarien ne me dérangeait pas. Le meurtre des animaux ne me dérangeait que s’ils finissaient dans ma bouche, mais je ne me voyais pas imposer mon choix aux autres en revendiquant haut et fort la fin de leur massacre.

Les semaines passaient et leur lot de nouvelles dégustations. Voulant à l’époque cacher mon végétarisme, je trouvais des excuses pour fuir ces moments : mal de ventre, gueule de bois... Pour ne pas que mes refus systématiques deviennent suspects, j’acceptais parfois les dégustations. Je mâchais l’animal mort, je donnais un avis totalement hypocrite et quand chacun avait repris son poste, j’allais à la plonge de la boucherie pour recracher et me rincer la bouche.

Passant un peu de mon temps libre à regarder des vidéos sur la cause animale, je suis tombé sur des vidéos de militantisme. J’ai découvert un groupe d’activistes qui bloquaient les abattoirs pour que cesse – du moins durant leur présence – le meurtre des animaux. JUSTICE POUR LES ANIMAUX, criaient-ils. Qu’ils sont ridicules !, pensais-je alors. Je trouvais toujours qu’accorder autant d’importance à des animaux était ridicule.

J’ai très vite éprouvé beaucoup d’admiration pour les véganes et les antispécistes. Faire preuve d’un aussi grand cœur envers les animaux ne pouvait que susciter mon respect.

Durant les mois qui ont suivi, malgré le fait que je travaillais toujours en boucherie, je n’ai cessé de m’intéresser à la cause animale. J’ai découvert sur Youtube les prises de parole du journaliste Aymeric Caron, devenu militant antispéciste et auteur d’ouvrages sur le sujet. C’est lui qui m’a fait découvrir les notions de spécisme et d’antispécisme. J’ai ainsi appris le spécisme prétend qu’il existe une hiérarchie de valeur au sien des espèces, plaçant l’espèce humaine au sommet, l’occasion de faire de l’espèce un critère de discrimination. L’antispécisme, lui, veille à rendre justice aux animaux en rendant illégaux les comportements spécistes, à la manière de l’antiracisme envers les animaux humains, qui veille à rendre illégaux les comportements racistes.

J’ai très vite éprouvé beaucoup d’admiration pour les véganes et les antispécistes. Faire preuve d’un aussi grand cœur envers les animaux ne pouvait que susciter mon respect. Néanmoins, même si j’étais végétarien et que je voyais les animaux d’élevage comme des individus et non comme des ressources ou des aliments, j’étais profondément spéciste et il n’était pas question pour moi de venir végane. Je me disais jamais je ne serai végane, comme par le passé je disais jamais je ne serai végétarien...



- propos recueillis par CL -

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