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La vie et la mort de 29257, jeune vache du canton de Vaud

Dernière mise à jour : 3 sept. 2019

Dimanche 24 février, 14h30, Canton de Vaud (Suisse). En rentrant de randonnée, par un temps radieux, je passe à proximité d’une ferme. Des meuglements étouffés et graves attirent mon attention. Ils semblent venir de l’extérieur, mais toutes les vaches sont enfermées dans le bâtiment. Inquiété par la nature des cris, j’ouvre la porte de l’établissement.


À l’intérieur, une centaine de vaches cessent momentanément de manger et m’accordent toute leur attention et curiosité. Dans un coin de l’étable, je remarque quelque chose d’anormal : la moitié d’un corps, couché et couvert d’excréments.

Alors que je m’approche de ce que je crois être une vache sans vie, je constate qu’elle respire faiblement. Impossible de voir sa tête, qui est effectivement à l’extérieur du bâtiment. En ressortant, je comprends que cette vache est bloquée dans la grille menant à la fosse à purin. Dehors, je l’entends meugler de l’autre côté d’une lourde trappe en acier, que je crois d’abord scellée avec des vis. En insistant, je parviens à l’ouvrir. Dans un premier temps, je n'arrive pas à croire ce que je vois. J’aperçois la tête de la vache, plaquée contre les parois et grilles, recouverte d’excréments. Son œil gauche à moitié ouvert s’écarquille en me voyant, elle commence à s’agiter. Je comprends rapidement que je ne pourrai pas l’aider seul. J’appelle à l’aide à travers la ferme, les vaches me suivent du regard alors que je cours à travers l’étable à la recherche de quelqu’un ou d’un numéro de téléphone. Je ne trouve rien ni personne. Dans une partie isolée du bâtiment, une vingtaine de très jeunes veaux sont isolés, séparés de leur mère. Là non plus, rien. J’appelle alors immédiatement les pompiers.


Je tente d’apaiser du mieux possible cet être vivant. Sur son oreille, la boucle auriculaire porte le numéro « 29257 ». Je ne peux imaginer sa peur et son incompréhension, coincée dans l’obscurité et dans les excréments.

Une équipe est envoyée. En attendant leur arrivée, je tente d’apaiser du mieux possible cet être vivant. Sur son oreille, la boucle auriculaire porte le numéro « 29257 ». Je ne peux imaginer sa peur et son incompréhension, coincée dans l’obscurité et dans les excréments depuis plusieurs heures, voire jours. Je ne peux pas faire grand chose de plus que lui caresser la joue. Au moins, avec la trappe ouverte, elle peut voir le ciel et respirer de l'air frais.



Un quart d’heure plus tard, l’éleveur a rejoint la ferme, averti par les pompiers qui arriveront peu de temps après. À l’aide d’une sangle et d’un véhicule agricole, la vache est tirée par les pattes arrière sans ménagement. La personne m’accompagnant a juste le temps de lui dégager la tête et les oreilles alors que le tractage a déjà commencé. Bien mal en point, la vache est maintenant dans l’enclos, couchée au sol. Celles qui partagent son espace ont été envoyées dans leur enclos extérieur, d’une dizaine de mètres de large. Les pompiers et l’éleveur la retournent complètement sur le côté. Son corps entier est couvert d’excréments et de blessures apparentes, elle n’a pas la force de se lever ou d’entreprendre la moindre tentative de mouvement.


Comment s’est-elle retrouvée coincée dans la fosse ? Cette ferme, construite en 2018, est munie d'un râtelier automatique qui évacue les selles et urines régulièrement. Il est plus que probable qu’elle ait été prise dans ce râtelier, qui l’a alors coincée dans l’étroit goulot d’évacuation.


Entre temps, la vétérinaire de garde a été appelée. Avant qu’elle n’arrive, l’éleveur déclare que si les chances de survie de la vache sont inférieures à 50%, il ne tentera rien pour la sauver, et elle sera abattue. Je pense alors immédiatement à un refuge pour animaux, qui recueille notamment des individus destinés à la boucherie, sauvés de maltraitance ou de telles situations. Les personnes gérant ce refuge se disent prêtes à mettre en œuvre tout ce qui est possible pour sauver cet animal. Je n’ose pas y croire, mais aussi petite qu’elle soit, il existe une chance pour que cette vache puisse terminer sa vie dans un sanctuaire. L’éleveur m’apprend qu’il s’agit d’une race à viande, et qu’elles sont abattues à l’âge de quatre ans. « 29257 » est âgée d’un an et demi.


L’éleveur déclare que si les chances de survie de la vache sont inférieures à 50%, il ne tentera rien pour la sauver, et elle sera abattue. « Il ne vaut pas la peine de faire quoi que ce soit. » Un sentiment d’impuissance m’envahit.

Lorsque la vétérinaire arrive sur place, elle prend rapidement la température de l’animal, et vérifie ses signes vitaux. Moins de cinq minutes suffiront à déterminer « qu’il ne vaut pas la peine de faire quoi que ce soit, et que la meilleure solution est l’euthanasie ». Un sentiment d’impuissance m’envahit. Je leur parle du sanctuaire, qui est tenu par une agricultrice qui a l’habitude de travailler avec des vétérinaires et de s’occuper d'animaux, y compris des vaches. Je leur explique qu’ils sont prêts à assumer les coûts pour recueillir et soigner cet individu. Qu’ils sont prêts à discuter avec la vétérinaire et l’éleveur. Pour les personnes gérant ce refuge, le profit et la rentabilité ne sont pas des priorités.


Mais rien n’y fait. Nous sommes priés de nous tenir à l’extérieur et la porte de l’étable est fermée, car « ça ne va pas être beau à voir ». Trois minutes s’écoulent. C’est terminé. Nous n’aurons pas pu sauver « 29257 ». Cette découverte aura cependant permis d’abréger ses souffrances. « C’est la vie » nous dit l’éleveur. « Non, c’est la mort », pensé-je intérieurement. « C’est une mort inutile, qui aurait pu être évitée ».


Pendant ce temps, à travers toute la Suisse, le lobby Swissmilk continue de se moquer éperdument des animaux et des consommateurs, en parsemant ses affiches de propagande dans tous les formats et emplacements possibles (plus de cinq rien qu’en gare de Lausanne). Affiches sur lesquelles est vanté le fait que « nos vaches [suisses] profitent du grand air même en hiver ». Pendant ce temps, la plupart des vaches du pays passent leur temps à l’intérieur la majeure partie de l’année. Si extérieur il y a, il s’agit souvent d’un enclos de quelques mètre carrés, tapissé d’excréments. L’écrasante majorité des 2,7 millions de cochons et des 60 millions de poules et poulets ne voient la lumière du jour et ne sentent l’air frais que lors de leur transport vers l’abattoir, dans l’aube glaciale, moins de quelques semaines ou mois après leur naissance. Plus de 200’000 veaux sont séparés de leur mère et abattus par l’industrie laitière, pour qui ils représente un sous-produit sans valeur.

« 29257 » aura effectivement profité du « grand air » au moment où j’ai ouvert la trappe qui la coinçait dans une fosse à purin. Je ne peux imaginer ce que cet être sensible à vécu et ressenti, ses peurs et ses incompréhensions.


L’écrasante majorité des 2,7 millions de cochons et des 60 millions de poules et poulets ne voient la lumière du jour et ne sentent l’air frais que lors de leur transport vers l’abattoir, dans l’aube glaciale, moins de quelques semaines ou mois après leur naissance.

Selon l’éleveur et d’autres agriculteurs, ce genre d’accident est déjà arrivé dans des fermes suisses. Il ne s’agit de rien de plus qu’un incident. D’une vache trop curieuse ou têtue, qui se fourre n'importe où. Sauf que « 29257 » n’a jamais demandé à vivre dans cet enclos. Elle n’a jamais demandé à terminer sa vie dans une fosse à purin et dans ses propres excréments. Ce sont nous, humains, par nos choix et habitudes de vie, qui l’avons condamnée à ce sort.


Ce genre d’histoires arrivera encore et encore tant que les animaux seront exploités et considérés comme des ressources et des biens au service et à disposition de l’être humain. Il est grand temps de revoir notre rapport aux animaux, et de nous orienter vers un monde juste et éthique, tout en changeant nos habitudes de consommation.


Repose en paix, « 29257 ».

- Jamani Caillet -

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